MALEVIL de Robert MERLE Un Mad Max périgourdin !

« Je m’appelle Emmanuel Comte, ex-directeur de l’école communale et nouveau châtelain de Malevil. J’aime bien me donner ce titre ronflant, même si je n’y attache aucune importance. C’est sans doute une déformation due à l’école républicaine, mais, pour moi, la réussite se mérite. Je prends la plume au 36ème jour de ce que nous appelons, nous les survivants, “l’après”. Car moi, et quelques autres, avons miraculeusement survécu à ce souffle ardent qui a tout rasé. Jamais je n’aurais pensé qu’une telle chose puisse arriver, ni atteindre un petit bourg de Dordogne comme Malejac. Enfin, le résultat est là et nous devons y faire face ! Par chance, je ne suis pas seul, le “cercle” est avec moi : Peyssou, ce grand gaillard, cultivateur pataud à la sensibilité fine. Meyssonier, le “rouge”, un type issu de rien et qui s’est hissé grâce au parti communiste. Colin, petit de taille, mais un gars énergique, plombier de son état, sur qui l’on peut compter. Thomas, le jeune homme de la ville, grand, beau et froid : un étranger quoi ! Un peu trop scientifique à mon goût, mais que j’ai pris sous mon aile car il a de l’instruction. Et par les temps qui courent, ça va être utile. La Menou, mon intendante, sans qui rien ne tourne. Âgée, minuscule et épaisse comme un carrelet. Elle est aussi désagréable que travailleuse. Pour elle, la valeur d’une femme se mesure à sa capacité à tenir un foyer… et ses hommes. Et Momo, l’abruti du village, son fils. Un benêt, un attardé, appelez le comme vous voulez mais nous l’aimons, ici, Momo. Ses bêtises nous font toujours rire, et nous en avons bien besoin !

Nous avons tout à reconstruire. Il ne pleut plus et le ciel est désespérément gris. Toute la faune et la flore a été brûlée… Qu’allons-nous manger ? Est-ce que les quelques grains qu’il nous reste pousseront ? Je m’efforce de maintenir la cohésion du groupe en leur donnant du travail et de l’espoir, même si je sais que c’est peut-être vain. Ils n’en ont pas encore conscience, mais des défis bien plus grands les attendent. Je suis loin d’avoir toutes les qualités, mais je connais la nature humaine. Et si, comme je le crois, d’autres survivants existent, à La Roque ou ailleurs, alors nous allons avoir fort à faire. Quand il s’agit de leur survie, les Hommes sont des bêtes : l’Homme est un loup pour l’Homme disait Hobbes. Je ne me fais pas d’illusions. Plus rien de notre civilisation n’est debout, et dans ce contexte la faim justifie les moyens : le mensonge et la violence fleuriront car plus rien ne les retient. Dorénavant, l’argent n’a plus cours et la parole non plus : boire, manger et se reproduire vont devenir les seules fins nécessaires. Les femmes comme le bétail deviendront un cheptel qu’il faudra garder sous peine de mort ! Les Hommes ne seront rien d’autres que de potentiels guerriers et les livres, un combustible pour le feu… Je sais aussi que la religion reprendra force à mesure que la peur du lendemain hantera nos semblables. La Laïcité deviendra difficile à défendre si elle n’offre pas un abri à leurs cœurs meurtris. Plus rien ne sera jamais comme avant. Et les murs du châtelet de Malevil seront notre seul rempart contre la barbarie.

A vous qui lisez ces lignes, sachez qu’ici, à Malevil, nous avons tenté à la hauteur de nos humbles moyens d’être un peu plus que des fauves enragés alors que tout nous y encourageait. Que nous avons essayé de préserver une étincelle d’humanité en ces temps devenus obscurs. J’espère que vous lirez ceci en des temps renouvelés où la civilisation aura repris ses droits et les Hommes confiance en l’avenir… »

On se retrouve bientôt, dès début 2024, pour une nouvelle chronique de Fahrenheit 162. Dans mon viseur : Sensibilités de Tania de Montaigne. N’hésitez pas à me laisser des commentaires sur lechicon@hotmail.fr

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